Jérôme BEHUET

Développeur | Freelance

Travail, de l'émancipation à la distanciation.

Changement de regard sur la place qu'occupe le travail dans ma vie.

(7 min)

01

DISCLAIMER : Je suis conscient que mon métier apporte son lot d'avantages (rémunération, conditions de travail, etc.) ce n'est pas le sujet de cet article

En 2019, j'ai eu la chance de partir plusieurs mois en voyage et ces quelques mois ont changé la vision que j'avais de l'occupation du travail dans ma vie.

Qu’est-ce que le travail ?

Je parle ici du travail dans le sens économique du terme, à savoir :

"Une activité économique, profession effectuée contre rémunération, ayant pour but de produire des biens et services."

Le travail est une nécessité économique, où nous nous retrouvons à troquer nos compétences, notre temps de vie, contre une rémunération. Il est également, une contrainte sociale, vous avez remarqué que l’une des questions les plus fréquemment posée à une personne que vous ne connaissez pas est de savoir ce qu’elle fait dans la vie, sous-entendant quel est son travail.

L’une des versions de la définition du mot travail provient de l’ancien français, signifiant "souffrance", venant de l'étymologie du mot "tripalium". Un tripalium n'était rien d'autre qu'un instrument de torture.

Il semblerait, cependant, que ce raccourci de définition soit faux, pour plus de détails je vous invite à lire l'article Tripalium, une étymologie populaire… mais fausse.

Cette définition étymologique populaire, nous laisse à penser, que le travail ne représente rien d'autre qu'une forme de souffrance.

Je vais reprendre ici les dires de l'auteur de l'article précédemment cité, à savoir :

Ce qui est un problème, c’est la manière dont le travail est concrètement conçu, par qui et à quelle fin. [...] chacun sait que tout le monde n’est pas égal face à lui. Certains s’y épanouissent pendant que d’autres, plus nombreux, le subissent, voire s’y éteignent. Le problème, ce n’est donc pas le travail en soi qui n’existe pas, ce sont les conditions dans lesquelles chacun d’entre nous est amené à exercer le sien. C’est cela qu’il faudrait changer.

Le travail occupe une majeure partie de notre vie, c’est via notre travail que l’on prend place dans la société, comme si notre travail est l’unique chose nous définissant.

Que fais-tu dans la vie ?

Voilà, je pense, la seconde question, après avoir demandé comment se nomme notre interlocuteur, que l’on pose à quelqu'un dont nous faisons la connaissance.

Cette question est lourde de sens pour ce qui est de la place du travail dans notre vie. Nous donnons un jugement de valeur à la personne en fonction de sa réponse. Répondre qu’en ce moment vous n’occupez pas de poste particulier est souvent, perçu comme quelque chose de mauvais.

Comme si, nous nous distinguions uniquement par notre travail au sein de la société, ceci est dû au fait que nous sommes des êtres sociaux et que nous estimons que le travail est un besoin social, alors que le travail est avant tout une nécessité naturelle car ne pas, ou ne plus, travailler c’est menacer sa propre survie.

Selon Adam Smith, le travail est un besoin naturel ET social, sans travail c'est risquer de perdre tout à la fois, sa vie et sa place dans la communauté.

Ma construction social avec le travail

J'ai grandi avec des parents ouvriers, la première image que l'on m'a transmise du travail est sa nécessité pour vivre mais aussi son caractère obligatoire.

Donc tout naturellement pour moi, dès l'âge de 14 ans j'ai débuté mon premier emploi, en tant que plongeur dans une petite pizzeria tous les week-ends. Ainsi au fil de ma scolarité, j'ai, comme un grand nombre d'étudiants, travaillé sur les périodes de vacances, dans le but de gagner toujours plus en autonomie.

Je me souviens encore d'un été où j'ai travaillé en équipe avec alternance matin de 5h à 13h et l'après-midi de 13h à 21h, avec l'obligation, comme à l'école, de lever la main pour demander à aller aux toilettes, car, la machine sur laquelle j'étais assigné ne devait pas être interrompue. À la fin de cette mission j'ai pu payer ma carte grise de voiture avec laquelle je roulais déjà depuis plusieurs mois. Ces premiers salaires perçus m'ont permis d'acquérir plus d'autonomie, personnelle et financière, me permettant une amorce d'émancipation en tant qu'individu.

J'ai, à ce moment, pris conscience, sans en connaitre le terme, de méritocratie. Comme si, le fait de faire des études me donnerait plus de mérite qu'un autre pour ne pas avoir à demander pour aller pisser.

Ces expériences professionnelles et mon entourage, indirectement, m'ont transmis un certain objectif à atteindre. Celui de chercher à parvenir à une niveau de classe sociale supérieur (transfuge de classe). Tout ceci influença fortement mon cursus scolaire à suivre afin de m'ériger au rang de col blanc.

Les voyages, les congés, les vacances

02

Les voyages, les congés, les vacances ou encore tout autres moments de temps libre sont aux antipodes du travail pensé sous l'égide d'un employeur, qui sont des périodes perçues comme te rendant "inutile". Pourtant, ce sont des moments où nous nous retrouvons dans une situation avec du temps à soi. En s'accordant du temps pour se retrouver dans des situations où l'on a possibilité de rythmer son quotidien selon ses humeurs et ses envies.

Comme tous, je prenais quelques congés sur les cinq semaines légales qui m'étaient accordés. Cependant, durant ces semaines de break et à l'ère du numérique la rupture avec mes obligations n'a jamais été complète, je vérifiais mes mails, je répondais à certains, etc. Je pensais toujours à mon travail.

Se déconnecter de toute obligation professionnelle et s'octroyer uniquement du temps pour profiter de l'instant, voilà pour moi, ce que mon voyage ma permis de réaliser en plus de découvrir de somptueux paysage et de nouvelles cultures (et bien d'autres choses).

Pour moi, la définition du voyage n'est pas une destination en particulier ou bien un mode de voyage (vélo, moto, train, etc.) mais uniquement le fait de pouvoir profiter de l'instant en se laissant porter par l'écoute de ses émotions. Bien entendu, que le plaisir de découvrir de nouvelles cultures, paysages etc. est immense mais ce que j'aime plus particulièrement c'est la sensation que procurent les moments où l'on déconnecte de tout le reste, où l'on profite du lieu, que ce soit sur la côte Est Australienne ou bien en bivouac sur les routes d'Auvergne.

Mon rapport à mon travail

À la suite de mon cursus scolaire en gestion de production en 2007, je n'avais clairement aucune envie de continuer dans ce domaine, je me retrouvais dans la position de la personne pouvant accorder le droit à aller pisser à une personne sur la ligne de production.

J'ai toujours été attiré et passionné par le développement et le métier de développeur, je m'autoformais dans ce domaine déjà depuis un moment. J'ai donc tout mis en œuvre pour trouver une mission où il était possible de faire mes preuves. Ce qui fût le cas en 2008 après plusieurs mois à enchainer des missions "alimentaire". À la suite de ce premier CDD ma carrière de développeur débutée !

En tant qu'autodidacte, j'ai pendant mes premières années du redoubler d'efforts, du faire mes preuves et lutter, comme d'autres, contre le syndrome de l'imposteur (lire Vivre avec ces démons ). Je changeais de poste ou de société afin de nourrir ma soif d'expérience. J'ai, également durant mon parcours, pris conscience de la chance que j'ai d'être un homme, blanc, cis et hétéro et des privilèges non négligeables dans notre société qui a, a mon insu, contribué à mon parcours.

Durant mes années en tant que salarié, les congés étaient, pour moi, synonymes de perte de temps car je n'étais pas "productif". Je ne prenais que rarement l'intégralité de mes congés, mon travail était ma priorité.

Après, différentes expériences en tant que salarié, le souhait de m'émanciper de certains supérieurs avec lesquels il était particulièrement difficile de travailler se fait sentir. En 2017, je quitte donc le salariat, pour devenir freelance.

 Nouveau rythme

Au moment où je reprends l'écriture de cet article nous sommes en période de pandémie mondiale, après plusieurs périodes de confinement, le voyage que l'on connaît est un lointain souvenir, un doux rêve du "monde d'après".

Aujourd'hui nous sommes nombreux à pouvoir faire notre travail depuis chez nous, télétravailler. Ce verbe à lui seul donne des frissons à certains employeurs, d'imaginer rémunérer un salarié quand ce dernier est chez lui, pourtant, pour ma part je n'ai jamais été aussi productif qu'en télétravail.

Le télétravail ne peut pas convenir à tout le monde, seulement 4/10 des métiers en France (selon le ministère) peuvent être fait à distance, il faut aussi prendre en compte l'environnement personnel de chacun. Ce que je veux évoquer ce sont les bienfaits que cela m'apporter, personnellement, de récupérer du contrôle sur mon rythme.

Un rythme de vie, que je peux orchestrer avec plus de souplesse en venant, dans la mesure du possible, y réduire peu à peu le temps qu'occupe le travail, en mettant en place du 4/5 sur certaines missions, réduisant mon stress en gagnant en qualité de vie, avoir plus de temps pour découvrir de nouvelles choses, d'apprendre de nouvelles choses comme par exemple la photographie qui j'ai découvert en prenant de la distance avec mon métier laissant de la place pour d'autres passions.

Ce nouveau rythme, qui me laisse le soin de m'écouter, de respirer, d'admirer. Tout ceci en continuant d'effectuer un travail qui me passionne, donne une alternance bien plus vivable que d'être uniquement dans ma bulle de travail.

Ce long voyage de 2019 m'a permis de prendre du recul sur mon rapport que j'ai avec le travail, je n'imaginais pas partir aussi longtemps sans travailler, je suis même parti avec un projet à terminer. Le travail semblait me définir et je ne pensais pouvoir me définir autrement qu'au travers mon métier. Être développeur, me passionne, me fais vivre et reste nécessaire à ma "survie" mais j'ai pris conscience qu'il est agréable, important, même vital, de garder du temps pour toutes autres activités, chercher du divertissement, de l'épanouissement et aller se nourrir de nouvelles expériences.

Je vous invite également à lire l'article de Florian Kauder, "Quid d'un monde sans travail"

Commentaires

Envoyez-moi un message sur Twitter à @jbehuet ou mentionnez moi avec votre avis sur le sujet.